Vous vous souvenez de Grégoire de Fournas ? C’est le député RN qui, en novembre 2022, a interrompu le député LFI Carlos Martens Bilongo (qui est noir) en disant « qu’il retourne en Afrique » ; quelques jours plus tard, décidément très en forme, il avait dit n’importe quoi sur notre jeu de société « Antifa, le Jeu ». Malgré ses déclarations fracassantes, il est présenté comme un pur produit du FN/RN : il a même failli être porte-parole du parti. Pourtant, ses sorties racistes et sa haine des antifascistes s’expliquent facilement : il était un des responsables du Bloc identitaire d’Aquitaine dans les années 2010 !Sur sa fiche Wikipédia, la carrière politique de Grégoire de Fournas de La Brosse (son nom complet), né en 1985, débuterait en 2011 avec son entrée au Front national ; en réalité, cela faisait déjà plusieurs années qu’il était actif politiquement, mais au sein du Bloc identitaire d’Aquitaine, une section locale d’un mouvement d’extrême droite né en 2003 sous le nom « les Identitaires », qui devient, sous le nom de Bloc identitaire, un parti politique en 2009 et dont sera issu en 2012 Génération identitaire, dissous en 2021.
À gauche : Grégoire de Fournas aujourd’hui. À droite : un exemple de propagande du groupuscule dont il était l’un des responsables locaux. C’est à la fin de l’année 2008 que se forme le Bloc identitaire (BI) sur Bordeaux et sa région ; À sa tête, Christophe Pacotte, qui a commencé à militer au Front national en 1986 d’abord en région parisienne, puis dans le Morbihan, où il est candidat à différentes élections, avant de s’installer finalement dans la région bordelaise [1].
Christophe Pacotte, du Front national aux Identitaires. Pacotte est secondé par un autre transfuge du FN, l’avocat Thibault du Réau, candidat FN aux municipales de 2008 à Libourne (Gironde). Ce dernier a déclaré à Libération avoir rejoint les Identitaires pour y trouver des « moyens d’action plus imaginatifs » : en 2008, alors qu’il était encore membre du collectif « Bordeaux Bleu Marine », Réau s’était fait remarquer en brisant par ses éructations au mégaphone un « cercle du silence » (rassemblement contre les expulsions organisé entre autres par RESF [2]).
L’acte de naissance du BI Aquitaine est une action menée le 21 janvier 2009 : ses militants singèrent un muezzin en diffusant à 6h du matin dans les rues bordelaises un faux appel à la prière par hauts-parleurs, afin de protester contre le projet de grande mosquée porté par la mairie de Bordeaux, alors dirigée par Alain Juppé.
Première action du BI Aquitaine dans les rues de Bordeaux, en 2009. #
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fachosLes actions suivantes restent dans le même registre islamophobe (dont une « soupe au cochon » en 2010), mais le BI Aquitaine participe aussi à des manifs anti-avortement ou contre le mariage gay, fréquente la paroisse intégriste de l’abbé Laguerie, soutient la chasse à la palombe…
Plus original, Thibault de Réau tente de lancer une structure d’aide aux viticulteurs en difficulté, « Terroirs et Productions de France », en créant un label facho-équitable et surtout un catalogue des produits de viticulteurs sympathisants. Il n’y a donc rien d’étonnant à trouver dans leurs rangs un jeune viticulteur, Grégoire de Fournas, qui, à 25 ans, a pris la suite de l’entreprise familiale en 2010 : le château Vieux Cassan, à Saint-Germain-d’Esteuil, un vignoble de 21 hectares situé au cœur de l’appellation Médoc.
Pacotte est toujours un grand amateur de la vinasse de son copain de Fournas. [Capture d'écran de la photo de couverture du compte Facebook de Christophe Pacotte, octobre 2023.]Le 17 avril 2010 à Pauillac (Gironde), ville où, actuellement, de Fournas est conseiller municipal depuis 2020 et où se trouve sa permanence parlementaire, le Bloc identitaire Aquitaine organise une agit-prop islamophobe. Accompagnés de deux militant·es (un homme et une femme) affublé·es d’un voile intégral simulant une burqa et portant une pancarte sur laquelle est écrit : « si vous ne voulez pas finir comme moi… », une dizaine d’Identitaires, dont Grégoire de Fournas, distribuaient des tracts sur lesquels on pouvait lire : « Nos vignobles, c’est pas le djebel ! Le Médoc, c’est pas le Maghreb ! ».
Grégoire de Fournas distribue des tracts pendant une agit-prop islamophobe à Pauillac, en 2010.Le 8 mai 2010, à Billère (Pyrénées-Atlantiques), près de Pau, tandis que la municipalité et les habitant·es commémorent la victoire sur le nazisme, les Identitaires girondins en profitent pour vandaliser « le Mur des expulsés », une fresque en soutien aux familles sans papiers expulsées.
« Liberté », « Égalité », « Fraternité »… Des mots intolérables pour les Identitaires.Alors qu’ils avaient déjà tenté de perturber la cérémonie d’inauguration de la fresque trois jours plus tôt, cette fois, les militants du BI sont arrivés dans trois voitures immatriculées à Bordeaux, ont recouvert la fresque de peinture blanche et sont repartis aussi sec, non sans avoir préalablement filmé leur méfait, comme les Identitaires en ont l’habitude. Mais le maire porte plainte et une instruction est ouverte…
En juillet 2011, les statuts du « Bloc identitaire Aquitaine Fédération régionale » sont déposés à la sous-préfecture de Langon : l’association est décrite comme la « représentation régionale officielle du Bloc identitaire (parti politique) ». Le bureau est composé de son président, Alain de Peretti (ex-conseiller régional FN passé au MNR), son vice-président, Christophe Pacotte, son trésorier, Stéphane Bouléris et ses sécretaire et secrétaire adjoint ; respectivement, Roberto Veiga et… Grégoire de Fournas.
Le 25 septembre 2012, suite à l’action du 8 mai 2010 contre le Mur des Expulsés, trois militants du BI sont convoqués au tribunal correctionnel de Pau : sur la photo du journal Sud-Ouest qui couvre l’affaire, on reconnait Pacotte et Bouléris, tandis que le troisième accusé est décrit dans l’article comme un « viticulteur de 27 ans ». Les trois hommes écopent chacun d’une amende de quelques centaines d’euros.
Dans sa biographie officielle, de Fournas prétend avoir fait ses premiers pas en tant que simple colleur d’affiches pour la campagne de Marine Le Pen en Aquitaine ou pour le candidat local, Jacques Colombier : pourtant, on voit bien qu’il n’en est rien, et qu’il a commencé à militer dans une organisation bien plus radicale.
Son activité « identitaire » pouvait-elle être ignorée des instances du FN local à l’époque ? On peut en douter. En janvier 2010, David Rachline, qui n’est pas encore maire de Fréjus mais dirigeant du FNJ, la section jeune du FN, déclare au journal Le Monde, à propos de l’Aquitaine : « Il y a un bon esprit dans cette région. On travaille avec certains militants du Bloc identitaire, d’Égalité & Réconciliation et du Forum étudiant […] Le candidat FN en Aquitaine [Jacques Colombier] est soutenu par certains militants identitaires. »
Et de fait, la fédération girondine du Front national manque de militant·es formé·es politiquement, d’autant plus qu’elle traverse en ce début des années 2010 une crise interne, consécutive à l’arrivée de Marine Le Pen à la présidence du FN.
En effet, Jacques Colombier, adhérent au FN depuis 1975 et à la tête de la fédération de Gironde depuis son élection au conseil régional d’Aquitaine en 1986, est un historique du mouvement. Lorsque se pose la question de la succession de Jean-Marie Le Pen à la tête du FN, Colombier fait logiquement partie de l’équipe de campagne de Bruno Gollnisch qui représente le FN "canal historique" et dont Colombier est proche humainement et politiquement.
Jean-Marie Le Pen, Jacques Colombier et Bruno Gollnisch, le 15 janvier 2011 au Congrès de Tours. [Photo : Miguel Medina, AFP]À la suite de la victoire de Marine Le Pen face à Bruno Gollnisch, de jeunes marinistes de la fédé s’opposent à la vieille garde locale : pour embarrasser Colombier, certains n’hésitent pas à verser du laxatif dans le vin de Louis Aliot, alors compagnon de Marine Le Pen, qui était venu animer une réunion dans les locaux bordelais du Front national !
L’affaire se conclue par l’exclusion de plusieurs jeunes responsables : il faut alors combler le vide causé par ces départs et renforcer la ligne politique « tradi » de Colombier. La situation est propice au décollage de la carrière politique de Grégoire de Fournas au sein du FN de Gironde, qui est accompagné par Edwige Diaz, protégée de Colombier : venue des rangs de l’UMP (ancien nom des Républicains), elle a rejoint le FN en 2014 (elle est aujourd’hui vice-présidente du RN).
Affiches électorales de Grégoire de Fournas.En une dizaine d’années, Fournas gravit tous les échelons jusqu’à la députation : responsable du canton de Pauillac en avril 2014, en troisième position sur la liste FN pour les sénatoriales derrière Colombier et Diaz la même année, il est élu en 2015 aux élections départementales, candidat pour les législatives de 2017, tête de liste RN à Pauillac aux municipales de 2020, et enfin élu comme député de la Gironde en 2022, tout comme Edwige Diaz. Il est même question qu’il entre au bureau national du parti.
En posant ses fesses sur les bancs de l’Assemblée nationale, Grégoire de Fournas devient donc le premier député issu du mouvement identitaire. Aurait-il coupé tout lien avec cet encombrant passé et ses amis d’alors ? Il semble bien que non.
Ainsi, en juin 2021, lorsqu’il se présente aux élections départementales, espérant conserver son siège acquis en 2017, qui choisit-il comme suppléant ? Son vieux copain Stéphane Bouléris, l’ ex-trésorier du Bloc identitaire Aquitaine.
Stéphane Bouléris et Grégoire de Fournas, deux ex-responsables du Bloc Identitaire Aquitaine, prennent la pose pour le Rassemblement national [Source : Le Journal du Médoc, 30/04/2021]Si Grégoire de Fournas n’oublie pas ses anciens camarades, il sait aussi tendre la main à la nouvelle génération. Parmi ses collaborateurs parlementaires, on trouve un certain Nicolas Goury, un ancien de la Vague normande (section de Génération identitaire à Rouen) que Nicolas Bay avait intégré à sa liste FN pour les municipales à Elbeuf, en 2014 [3].
Nicolas Goury : à gauche au FN avec Edwige Diaz, à droite avec ses copains identitaires.Notons qu’en 2021, Goury est à nouveau candidat RN, mais bien loin de chez lui : dans le canton nord de Libourne, en Gironde, hébergé par Edwige Diaz [4]… Nicolas Goury retourne finalement en Seine-Maritime pour les élections législatives de 2022, où il obtient 49,16% des suffrages : à 700 voix près, un deuxième député RN issu du mouvement identitaire aurait pu faire son entrée au parlement.
Après sa sortie « qu’il retourne en Afrique » adressée au député Carlos Martens Bilongo, Grégoire de Fournas est soutenu par les élus et responsables RN (même si Marine Le Pen parle d’un « manque de finesse »), mais il voit lui passer sous le nez le poste de porte-parole du RN.
À gauche, Grégoire de Fournas, qui peine à contenir ses pulsions racistes, même dans le cadre policé de l’Assemblée nationale. À droite, Carlos Martens Bilongo, qui a de toute évidence de saines lectures.L’essentiel pour le RN reste surtout que le passé de Grégoire de Fournas ne remonte pas à la surface. Edwige Diaz, qui le connait pourtant très bien, ose affirmer : « Vous imaginez bien que s’il y avait eu des propos, par le passé, un comportement ou des sorties abominables, il aurait été mis sous le feu des projecteurs et se serait fait dégommer depuis longtemps par nos adversaires ! »
Le fait est que Grégoire de Fournas avait déjà affiché sa différence, en particulier vis-à-vis de la stratégie de « dédiabolisation » de Marine Le Pen. En 2014, il apporte son soutien à Anne-Sophie Leclère, ex-candidate FN, qui avait comparé Christiane Taubira à une guenon. À l’époque, il n’avait pas été sanctionné : mais quand il récidive quelques années plus tard sur les bancs de l’Assemblée, le Front national devenu Rassemblement national ne peut plus se permettre de voir sa normalisation menacée par le « dérapage » d’un de ses élu·es, et plus encore par des révélations embarrassantes sur son passé militant dans des groupuscules racistes.
Attention Jordy !! derrière toi !! un Identitaire !!!Jordan Bardella, nouvellement élu à la tête du Rassemblement national, en est bien conscient. Lors de sa conférence de presse au lendemain de son élection, le 9 novembre 2022, il déclare : « Quant au fait de voir revenir des identitaires, j’attends toujours qu’on nous donne les noms. Qui sont ces horribles identitaires ? » Et bien en voilà déjà un, et sur les bancs de l’Assemblée en plus : Jordy, nous remercie pas, on est là pour ça.
La HordeNotes[1] En 2015, Christophe Pacotte, alors qu’il est toujours à la tête du Bloc identitaire Aquitaine, est nommé chef de cabinet par Robert Ménard, élu maire de Béziers avec le soutien du FN. Il est viré deux mois après son arrivée.
[2] Réseau Éducation Sans Frontières (RESF) est un réseau de mouvements associatifs et syndicaux militant contre l’expulsion d’enfants étranger·es scolarisé·es en France et dont les parents en situation irrégulière.
[3] Membre de la CGT, Goury en avait été aussitôt exclu après la découverte de son appartenance à Génération identitaire et au FN. Goury n’a alors rien trouvé de mieux à faire que de se prendre en photo en train de faire une quenelle devant le siège de la CGT locale.
[4] À l’époque, la presse locale le soupçonne même de s’être faussement domicilié dans la région, car son adresse était celle d’une maison apparemment inhabitée appartenant à Edwidge Diaz.
Grégoire De Fournas : un député RN venu du Bloc identitaire
parLa HordesurLa Horde